« - Buvons les amis à... à toutes les demoiselles de cette île! » s'exclame Théo tandis que nous trinquons avec nos bières. Déjà bien 'joyeux', Arnaud s'empresse d'ajouter :
« - A toutes les nuits qu'on va passer avec elles tu veux dire?! » Ils rient et je secoue la tête à la fois hilare et totalement désespéré par leur comportement :
« - Parle pour toi, Nono. » Il se tourne vers moi et passe l'un de ses bras sur mes épaules. Je sais déjà ce qui va suivre, mais je le laisse parler car après tout, rien de ce que je pourrais lui dire ne le fera changer d'avis.
« - Ecoutes-moi Manoé, on vient d'avoir dix-huit ans, on vient de terminer le lycée, on a tous nos bacs en poche... » Il fut interrompu par Théodore :
« - Dans ton cas, on se demande même comment! » Le brun lui lança un regard noir mais décida de ne pas lui répondre :
« - On est riche, on est célibataire, bref tu me suis jusque là? » Je hoche la tête, un sourire amusé étirant mes lèvres.
« - Donc que font trois mecs jeunes, beaux et riches comme nous lorsqu'ils partent en vacances dans les îles? » Je fais mine de réfléchir et lui adressant une moue des plus innocentes, je réplique :
« - Ils goûtent aux spécialités locals? » Un éclat de rire nous parvient depuis le sac de voyage dans lequel notre ami vient de plonger la tête à la recherche de je-ne-sais-quoi-encore :
« - C'est exactement ça! Imagine... Une poupée grecque à l'huile d'olive! » Il contemple soudainement le ciel le plus sérieusement du monde, je ris et me débarrasse de son bras pour m'approcher du bord du bateau. Quelques centaines de mètres plus loin se dessine le petit port de l'île de Skopelos dans toutes sa splendeur.
[...] A peine notre transport mouille-t-il dans la baie que je m'empresse de sauter à terre, emportant mon sac à dos et mon appareil photo avec moi et oubliant complètement les deux coureurs qui m'accompagnent. Ma première impression est étourdissante. Je ne sais pas ou poser les yeux devant tant de merveilles. Le paysage est magnifique. Le type de l'agence touristique ne plaisantait pas. Nous n'aurions jamais assez de ces quelques semaines pour tout voir, découvrir les moindres recoins cachés de cet îlot du paradis. J'attrape l'engin qui pend autour de mon cou et commence à mitrailler diverses scènes. C'est lorsque je me tourne vers la mer que je me rends compte que mes compagnons m'attendent les bras croisés, sourcils haussés. Je les immortalise et pense un instant à tout ce qui m'attend dans la soirée : l'hôtel, les réservations, les coups de téléphones aux parents... en bref, toutes les choses importantes dont ces deux là n'auront jamais l'idée d'accomplir et qui se révéleront pourtant indispensable et obligatoire. Bien que pour ma part, le téléphone soit plus une façon de m'assurer que ma mère n'allait pas envoyer la garde française fouiller les eaux de la mer d'Egée à la recherche de mon soit-disant cadavre... Je fus sortis de mes pensées par une main se posant sur mon épaule. Je relève les yeux vers Arnaud qui me regarde apparemment désespéré. Il soupire avant de m'obliger à pivoter sur moi-même. Nous faisons désormais face au port et à la petite foule qui se presse, il semblerait que ce soit jour de marché.
« - C'est LA que ça se passe. Regarde et ne me dis pas que tu ne vois rien! » Je soupire intérieurement mais comme à chaque fois, parce que c'est lui, mon meilleur ami, celui que je connais depuis toujours et qui me connais sûrement mieux que moi-même, j'obéis. Au départ, je ne distingue que des passants et des touristes. Des hommes, des femmes. Certaines sont belles, mais rien qui ne vaillent nos fréquentations parisiennes. Lorsque je l'aperçois. Je plisse les yeux pour lutter contre les rayons du soleil et me focalise sur cette silhouette. De taille moyenne, élancé, une chevelure blonde. Elle est trop loin pour que j'en distingue davantage et pourtant. Pourtant quelque chose me dis que c'est elle. Elle quoi, je n'en ai pas la moindre idée mais il faut que je la rencontre. Au même moment, une seconde jeune femme fait son apparition et se joint à la première pour quitter la rue. Je les désigne à mes compagnons. Ils lâchent des sifflements appréciateurs.
« - La plus grande?! Très bon choix! » Trop envoûté par le charme de ma découverte, je note son erreur mais ne le dément pas. Je dois lui parler, la connaître...
۞
Allongé sur mon lit, je réfléchis aux derniers mois de mon existence. Comme chaque année depuis deux ans, nous nous sommes retrouvés pour les vacances à Skopelos. Arnaud, Théo et moi, accompagné du jeune frère du second, Jean-Baptiste. Un gosse de dix-sept ans horriblement fatiguant qui nous surnomme le 'wolfpack', enfin surnommé jusqu'à ce que Nono le traite de groupie fanatique de twilight. Depuis, il évite toute référence aux loups et même au chien. Mais mon problème ce n'est pas cet adolescent, non. Mon problème c'est que dernièrement j'ai fais la plus grosse connerie de toute ma vie. Il y a deux ans, j'ai fais la connaissance des soeurs Vasilis. Jusque là, tout va bien, c'était mon but après tout. Parler à cette jolie blonde aperçue lors de notre arrivée sur l'île. Sauf que, je ne sais pas exactement à quel moment, les choses ont totalement dérapés. La maitrise de la situation m'a échappé et j'ai enchaîné bourde après bourde. Deux jeunes femmes. Deux soeurs. Nous étions devenus amis. Nous nous étions rapprochés. Beaucoup. L'une était devenue une part entière de mon existence, une confidente, une partenaire de jeux, de soirées, de randonnées. Nous pouvions passer des heures à discuter de tout et de rien ou justement à ne rien dire. Elle peignait et je prenais des photographies, ou griffonnais dans mon carnet à croquis... Elle était ma meilleure amie. Mais je passais également du bon temps avec sa soeur. Celle que les gars trouvaient la plus belle pour une raison qui m'échappait encore. Celle dont mon meilleur ami avait cru que je m'étais épris dès le premier jour. Celle qui ne 'lui volait pas son titre'. Celle avec qui je sortais officiellement maintenant et ce depuis quelques temps déjà.
Lâchant un grognement de frustration, je plaquais un oreiller sur mon visage. J'aimais Cora. Personne et pas même moi n'aurait pu prétendre le contraire, mais... pas de la manière dont elle m'aimait. Pas d'un amour passionnel et dévastateur. Lorsque je la regarde, je ne me vois pas passer le reste de mes jours avec elle. Et pourtant, j'ai essayé. Dieu seul sait à quel point! J'ai même étais jusqu'à lui proposer de rechercher une maison pour nous y installer ensemble. Nous n'en avons pas trouvé. Et pour moi, c'est un signe que nous ne devons pas faire cela. Je ne dois pas faire cela. Mais que dois-je faire alors? J'entends la porte d'entrée claquer. Des pas et un coin du lit qui s'affaisse. Je n'ai pas besoin de regarder pour savoir qu'il s'agit d'Arnaud. Aussi insouciant soit-il, il est loin d'être stupide, principalement lorsque cela me concerne.
« - Tu rates une super partie, je suis en train de ratatiner le microbe! » J'esquisse un sourire sous la literie mais ne réponds rien. Après quelques instants de silence, il soupire et reprends plus sérieusement :
« - D'accord, ouvre grand tes oreilles car je ne te le dirais qu'une seule fois?! Si je t'ai poussé vers Cora, c'est parce que je pensais qu'elle était ce qui te fallait et... et en partie parce que j'ai beau essayer, je n'arrive pas à apprécier Iris alors que... Alors que vous partagez des choses qui n'étaient qu'à nous avant. Si je n'étais pas intervenu, vous seriez ensemble à l'heure qu'il est et moi... Moi, je n'aurais plus de place dans ta vie. Elle me prendra tout. Et je ne suis pas stupide. Je sais que ça arrivera un jour. » Je sens à sa voix qu'il est à la fois mal à l'aise et triste. Les déclarations d'amitiés, d'amour, les sentiments en général, ça n'a jamais été son truc. Je sais que chacun des mots qu'il prononce lui coûte. Même s'il les pense. Ma voix est enroué suite à un trop long moment d'inactivité lorsque je réponds de ma cachette :
« - Personne ne te remplaceras jamais... t'es une espèce unique, ils ont arrêtés la production il y a longtemps, vous faisiez trop de dégâts! » Bam! Je sens un coussin venir s'écraser sur moi. Quelques secondes plus tard, je réplique avec celui dont je m'étais servis plus tôt pour m'isoler. Quelques coups et rires plus tard, nous tombons du lit dans un gros 'boum' qui attire nos deux compagnons. Ils nous retrouvent dans une drôle de position et croissant les bras, Théo nous demande sarcastique :
« - On vous dérange peut-être? » Du tac au tac, le brun réplique :
« - Pas du tout! On allait vous appelez. On compte expérimenter le kama-sutra gay, vous en êtes? » Il leur adresse un sourire royale et roulant des yeux le blond entraîne son frère à l'extérieur, dont les yeux exhorbités me pousse à me demander si nous ne venons pas de le traumatiser. Finalement, il se retourne vers moi et demande :
« - Qu'est-ce que tu vas faire? » Je me mords la lèvre inférieure et ne peux m'empêcher de détourner le regard. Que vais-je faire?
۞
Un léger coup frappé à la porte. Je me redresse et me cogne la tête contre mon bureau sous lequel j'étais occupé à ramasser une volée de papiers.
« - Outch! J'allais te demander comment aller le marié mais là... » Je frotte la bosse que je viens de probablement me faire sur le haut de mon crâne mais adresse un sourire à l'adresse du nouvel arrivant. Il entre et je contourne le meuble incriminé pour le prendre dans mes bras dans une accolade.
« - Merci d'être venu. » Dis-je une fois cela fini.
« - Je ne pouvais pas louper le mariage de l'un de mes meilleurs amis... Encore moins en sachant que ça se passe sur cette île. » Il me sourit, mais je le sens légèrement gêné, je n'ai pas besoin d'être voyant pour savoir quel serra le prochain de sujet de conversation. Je me prépare mentalement. Hébété, il visite mon atelier de manière distraite avant de s'arrêter devant un cadre contenant une photographie de groupe prise lors de notre premier été à Skopelos. Il le prend et fixe l'image pendant quelques instants avant que la question fatidique ne tombe :
« - Tu as des nouvelles de... » C'est plus fort que moi, ma voix est sèche lorsque je le coupe pour répondre :
« - Non. » Non, je n'ai pas de nouvelles, pas depuis plus de trois ans. Trois longues années ou j'ai essayé et encore essayé de garder puis de reprendre contact mais sans que cela ne donne jamais aucun résultat. J'étais en colère, mais surtout, j'étais triste comme une pierre chaque fois que mes pensées quittaient ma fiancée ou mon travail.
Pour qu'il ne distingue pas mes sentiments sur mon visage, je me penche sur mon bureau et fouille sans but différents dossiers. Il n'est pas dupe cependant :
« - Je n'ai pas de nouvelles non plus... Enfin, pas de lui directement... Sa soeur, tu sais : Pauline, m'a dis qu'il voyageait beaucoup... » Je ne réponds rien, que veut-il que je lui dise?
« - Il est au courent à ton avis pour...? » Le mariage?!
« - Oui, bien sûr qu'il est au courent! Je lui ai envoyé des lettres et des faire-parts à toutes ses adresses connus ainsi que chez ses parents! Je l'ai supplié de venir dans chacune d'entre elles! D'être mon témoin avec toi... Et rien. Vingt ans d'amitié à jeter à la poubelle! » Reprenant ma respiration, je croise son regard désolé et retourne immédiatement à ma paperasse. Je n'ai pas besoin de pitié. J'ai besoin de mon meilleur ami. De mon frère, celui que j'ai perdu en même temps que Cora. Ma rupture avec la soeur d'Iris, celle que j'aimais et que j'allais épouser très prochainement, avait signé la fin de notre histoire à nous aussi. J'avais gagné l'amour et perdu l'amitié. Se rapprochant, Théo posa une main qui se voulait réconfortante sur mon épaule et après quelques minutes de silence, mes yeux se posèrent sur un plan en particulier. Le sortant de la pile, je demandais, ma voix radoucie :
« - Qu'est-ce que tu en penses? » Il se pencha et haussa un sourcil :
« - C'est le plan de ton prochain bordel? Dis donc, y'en aura des 'employés' vu le nombre de chambres... » Je roule des yeux et il a un sourire satisfait en voyant mon expression moins désespéré.
« - Nan, sérieusement, elle est magnifique. » Je contemple le dessin et mon visage s'illumine malgré moi. Désignant un endroit précis, j'ajoute :
« - Cette partie sera en verre pour laisser totalement entrer la lumière, les murs serviront à exposer ses oeuvres... Là, j'ai voulu créer un espace d'ou on puisse voir les étoiles le soir... » Il hoche la tête. N'étant pas du tout du métier, il ne doit pas comprendre grand chose à toutes mes annotations, mais nous avons changés de sujet, c'est le principal pour moi en cet instant.
« - Elle va être magnifique... Et j'en connais une qui a vraiment beaucoup, beaucoup de chance. » Ajoute-t-il doucement comme pour ne pas troubler le silence de contemplation qui s'était instauré.
« - J'espère... J'espère que ça lui plaira... » Ou alors elle demandera le divorce?